• Leçon de Nuit - suite

     Boulevard peripherique, dans un vieil hotel. Trois creatures palabrent sous la lumiere poussiereuse d'un lustre. Elles viennent de tres loin, d'un pays ou les fleurs parlaient autrefois, ou le vent etait une vieille dame tout de vert vetue caressant les champs d'or & de pourpre. J'ai froid, ma robe est trop legere pour la saison. Qu'importe, elles parlent, elles argumentent & je reste debout dans le hall, suspendue a mon souffle.



     Il s'agit d'une montagne russe en ruines dans un champ, un grand huit en bois qui ondule au dessus d'une mer d'epis, de vagues blondes. Elles evoquent ses courbes, toutes les courbes, disent que le champ de ble abrite les enfants du diable. Qu'ils boivent des liqueurs argentees dans de petits verres a thé.



     Demain elles seront ailleurs.



     Un presque nain aux favoris grisatres & petites lunettes cerclees d'or arrive derriere le comptoir. Les aiguilles d'une pendule un peu rouillee indiquent dix heures trente deux. Vous trouverez qu'ils sont singuliers. C'est une question d'habitude voyez vous parce que tout simplement ce sont des elfes. Des rires si joyeux que le plus antique des lustres en tremble. Trois paires d'yeux fixés sur moi, particules en suspens. Je sors, les voitures s'alignent, les lucioles de leurs phares se suivent par milliers. Vendredi soir, pensees en liberte.



     Depuis que j'apprends la nuit tout a change. La mort, solitude dans un cafe de la banlieue ouest, une main posee sur les faces cachees. Les gens continuent a parler autour d'elle ( de lui ), le tierce, les femmes, le petit dernier, le foot. Qu'est-ce qui pourrait bouleverser tout ca ? Rompre l'equilibre ? Elle referme un livre, aucun titre sur la couverture. Peu a peu les habitues rentrent chez eux, personne ne leve les yeux au ciel. N'entend les etoiles chuchoter entre elles.



     Quartiers riches, un dragon s'endort roule en boule sur un tas de vetements soyeux. Il mesure vingt sept centimetres, armure d'ecailles rouillees, du bout du museau a la queue. Il ne vieillit pas. Je marche a reculons. Les ours en peluches s'arrêtent de sourire, defont les fils de leurs pattes. La cadence caroussel reprend, c'est leur tour de montrer les enfants du doigt.



     Il pleut a present. Je remonte le boulevard desert les mains dans les poches. Les lampadaires jettent sur les trottoirs mouilles des pleines poignees d'or. Station de metro. C'est un silence en volutes, comme une envie de se tuer.



     Le long du zoo. Sur les rochers, des lutins des montagnes effeuillent des livres de philosophie, j'en disperse les pages au vent. Leurs costumes excentriques. Une pluie de confettis vient voltiger a mes pieds. Un quatuor de fantomes joue une musique de lune avec des violes, des flutes, des tambourins. Distance respectable, il pleut toujours, la musique est tres belle.



     



     Ma ville est ainsi. C'est un secret, comme un tresor enfoui.



     



     C'est la silhouette masquée qui chasse les esprits nocturnes armee de filets a papillon. J'ai appris. Les hommes-rats du fleuve. Les adorateurs du Grand Bouc Blanc fumant leurs pipes d'herbes seches adosses a des cheminees luisantes de pluie. Le vieil hindou des grilles d'aeration, ta megarde & sur un bout de papier, le numero de telephone de Dieu.



     Un parapluie amene par le vent, a saisir presque au vol. Le bruit de la pluie sur les gouttieres de zinc:: il empeche les dormeurs d'entendre leurs reves. Un sentiment de manque leger & inexplicable. Est-ce que j'ai vraiment vecu ?



     Les renfoncements des immeubles, sous les porches, pres des plantes hautes. Je suis desolee. Je suis muse & je suis effaree. J'ai le regard fixe, je ne me retiens pas de pleurer.



     Pour les autres.



     Je ris pour moi. La nuit est une forteresse, ses cles scintillent dans les doigts tremblants des malades & des fous, des laisses-pour-compte & des sans prison, des sans attache, des liberes de la vie. Cette nuit sur le peripherique nord une douzaine de cancereux en phase terminale organisent une course de caisses a savon. Certains vont s'envoler.



     Le jour s'annonce, demarche zigzag j'attends le premier train. Je suis fatiguée, la musique resonne dans ma poitrine. J'ai envie d'un croissant & d'un sourire. C'est l'heure ou les chats rentrent chez leurs maitres, ou les peluches rangent leurs baguettes, ou les mannequins de cire se recoiffent en pincant les levres, chuchotements dans les allees, chacun a regagne sa place. La pluie cesse de tomber. A la radio des voix suaves annoncent deja de nouvelles catastrophes.



     Quelle importance ?



     Je me laisse tomber sur mon lit toute habillee. Je me demande si je vais appeller Dieu. L'aube avance a pas de loup entre mes stores, je pense a des longues-vues braquees sur les etoiles. Je pense a l'affiche qui m'a souri. Des predictions, des promesses perdues. Mes reves se melent a ma ville.


     


    ( 3.4.06 )


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